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TERMINOLOGIE

Écrit par : Loïc DEPECKER : agrégé de grammaire, docteur en linguistique, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne

La terminologie est la discipline qui traite des vocabulaires scientifiques ou techniques. Elle a pour but d'étudier la façon dont les sciences et les techniques désignent objets et phénomènes. La terminologie désigne aussi le repérage, la mise en forme et la gestion des termes, notamment sous la forme de dictionnaires et de bases de données. Dans cette visée pratique, elle est dite terminographie (traitement et analyse des termes). Cette distinction rejoint celle qui existe entre lexicologie (études des unités d'une langue) et lexicographie (traitement et analyse de ces unités). Enfin, terminologie signifie « ensemble de termes » (par exemple la terminologie de la médecine, de la chimie). Terminologie n'a que depuis peu un sens véritablement reconnu. Ainsi Littré indique dans son dictionnaire : « Cette prétendue science n'est qu'une vaine terminologie » (1873). De fait, le mot terminologie, dont la création dans les langues européennes remonte à la fin du xviiie siècle, n'entre dans l'usage avec un sens positif qu'au milieu du xxe siècle.

Éléments de l'histoire de la terminologie

Cette démarche de désignation des objets et des phénomènes a une longue histoire. Les premiers recueils de termes – d'où naît l'écriture – sont principalement des inventaires : décomptes de bijoux, pierres précieuses, outils, etc., et concernent notamment l'Égypte, la Mésopotamie, l'Inde, la civilisation minoenne. La réflexion sur le rapport entre le nom et la chose est approfondie par les philosophes grecs, notamment Platon (Cratyle) et Aristote (Organon). Elle est une des constantes des courants philosophiques, des stoïciens aux médiévistes, jusqu'à l'époque moderne et contemporaine.

Révolution scientifique, révolution technologique

C'est cependant la question de la création, de la définition et de l'évolution des termes qui intéresse le plus directement la terminologie. La réflexion sur les vocabulaires a connu en Europe des époques privilégiées, particulièrement lors des révolutions scientifiques du xviiie siècle. Les progrès de la biologie, avec Lamarck, de la botanique, avec Linné, mettent en valeur la nécessité, pour désigner les espèces, de créer des ensembles de termes, ou « nomenclatures ». Les développements de la chimie avec Guyton de Morveau (1787) s'accompagnent également de révolutions terminologiques, comme celle qui fait basculer, avec Lavoisier notamment, l'ancienne alchimie dans la chimie moderne : l'abandon de la théorie du phlogistique, notamment, amène à une autre conception de la combustion et à la création de termes nouveaux, tels hydrogène et oxygène.

Les révolutions industrielles du xixe siècle avec l'invention de la machine à vapeur, de l'électricité, du moteur à explosion, etc., orientent à leur tour l'attention sur la question de l'appellation des objets et des produits nouveaux à des fins de grande diffusion. Les expositions universelles deviennent de vastes rassemblements où l'innovation technique est mise au premier plan. À celle de Paris, en 1867, sont présentés les premiers moteurs à pétrole. Les brevets d'invention se multiplient. Clément Ader dépose en 1890 un brevet pour un « appareil ailé pour la navigation aérienne dit : Avion » (Guilbert, 1965). Les premiers grands congrès se tiennent à cette époque, pour l'aviation, l'automobile, l'électricité (Paris 1881), etc. Les congrès mondiaux d'ingénieurs font prendre la mesure de la rapidité des progrès (Chicago 1893, San Francisco 1915, Tōkyō 1929).

Création de grands instituts de normalisation

À cette époque commencent aussi à se tenir régulièrement les premiers congrès internationaux de nomenclature scientifique (botanique en 1867, zoologie en 1889, etc.). Les grands instituts de normalisation technique voient le jour pour la plupart au début du xxe siècle, telle l'Union des syndicats de l'électricité créée en France en 1906, précurseur de l'actuelle Union technique de l'électricité et de la communication. Le premier comité d'étude de la Commission électrotechnique internationale créée en 1906, précédant celui des machines tournantes et des symboles graphiques, est celui de la « nomenclature ». Il atteste l'importance attribuée à la dimension terminologique : pour normaliser processus et produits, il faut d'abord les décrire, les définir et les désigner. Les travaux de normalisation et, dans leur sillage, la constitution des premiers grands dictionnaires techniques élaborés dans une visée multilingue (Vocabulaire électrotechnique français, 1911) contribuent à faire émerger une réflexion propre sur la terminologie. L'Afnor (Association française de normalisation) est créée en 1926 pour la normalisation technique des produits industriels. Elle est alors le membre français de l'I.S.A. (International Federation of National Standardizing Associations), ancêtre de l'actuelle I.S.O. (International Standard Organisation).

Constitution de la terminologie en tant que discipline

Utilisée dans le cadre de l'élaboration de nomenclatures scientifiques ou dans les milieux industriels, particulièrement pour l'élaboration de normes techniques, la terminologie n'en constitue pas encore pour autant une discipline : elle reste une simple pratique par laquelle scientifiques et techniciens désignent le réel et mettent en forme leurs connaissances.

Une thèse révolutionnaire

À partir des années 1930, les travaux d'un ingénieur autrichien, Eugen Wüster, contribuent à mettre en place une réflexion scientifique sur cette pratique. Présentée en 1931, sa thèse, Internationale Sprachnormung in der Technik, besonders in Elektrotechnik (1966), jette les bases de ce qui pourrait être une discipline propre à l'analyse des termes employés dans les sciences et les techniques. Dans le prolongement de ces recherches est créé en 1936, à l'I.S.A., le comité technique 37 « Terminologie », chargé d'élaborer des normes méthodologiques pour la gestion des terminologies. Le comité technique 37 (ou T.C. 37), rattaché à l'I.S.O. après l'interruption de la Seconde Guerre mondiale, continuera d'œuvrer, réunissant en 2002 près d'une soixantaine de pays et d'organisations. Une réflexion d'ensemble sur la terminologie, menée au niveau mondial, s'y est progressivement élaborée. Elle porte sur les principes et méthodes de la terminologie, son utilisation dans la traduction spécialisée, ses applications informatiques, le codage des données, la mise en forme des sources bibliographiques, etc. La visée internationale d'une telle action reste importante, l'internationalisation des terminologies et idéalement l'emploi de termes proches ou semblables dans les différentes langues se révélant une préoccupation constante.

Quelques écoles de pensée

Plusieurs écoles de pensée se sont constituées dans le prolongement de la réflexion engagée par Eugen Wüster. Ainsi de l'École de Vienne, qui situe la terminologie dans le champ de la philosophie analytique. L'École soviétique, de son côté, s'efforce de relier systèmes terminologiques et systèmes de connaissances. Dans le fil de ces idées se développent, à partir des années 1970, les écoles de pensée issues de l'aménagement linguistique, notamment au Québec avec Jean-Claude Corbeil ou Guy Rondeau. Dans le champ francophone particulièrement, la terminologie a été récemment prise en considération dans le cadre d'une réflexion politique. C'est l'afflux des anglicismes dans la langue française qui a orienté l'attention vers les vocabulaires spécialisés. Les conditions de survie du français comme langue des sciences et techniques ont conduit à s'interroger sur les conditions de possibilité de la terminologie, discipline susceptible d'avoir pour objet l'analyse et le traitement des terminologies. En France, l'anglicisation des sciences et techniques, particulièrement à la suite des conflits mondiaux, a conduit à des réactions visant à défendre le français et à créer des termes nouveaux. Naissent ainsi, tout au long du xxe siècle, des mouvements d'intellectuels qui contribuent à donner vie à cette idée. Dans l'entre-deux-guerres, ce sont des personnalités comme André Thérive, Ferdinand Brunot, Albert Dauzat qui participent à des associations et groupements d'intellectuels. Après la Seconde Guerre mondiale, de grandes figures prennent le relais comme Alfred Sauvy, René Etiemble, ou Aurélien Sauvageot. Ce dernier se présente ainsi comme un partisan du « dirigisme linguistique ».

L'emprise de l'anglais, la nécessité de faire évoluer les vocabulaires spécialisés, la construction de la francophonie ont conduit à des prises de position politiques qui ont joué un grand rôle dans la constitution de la terminologie comme discipline. Il pouvait en effet paraître étrange que les pays francophones veuillent construire, à partir des années 1960, une francophonie politique dont la langue s'anglicisait. La consécration de ces mouvements est la création, en 1966, du Haut Comité pour la défense et l'expansion de la langue française, rattaché au Premier ministre. Cet organisme, dont l'appellation évoluera régulièrement, contribua à la constitution d'une francophonie reconnue sur le plan international. Sur le plan national, il fait instituer à partir de 1970 des commissions ministérielles de terminologie, principalement chargées de « proposer les termes nécessaires soit pour désigner une réalité nouvelle, soit pour remplacer des emprunts indésirables aux langues étrangères » (Premier ministre, décret du 7 janvier 1972 relatif à l'enrichissement de la langue française).

Dans cette perspective, la question de la néologie a été intégrée à la préoccupation sur l'état et le devenir des terminologies. S'est posée de façon particulièrement vive la question d'une réflexion sur les conditions de création des terminologies neuves pour une langue comme le français : en France, mais aussi dans des pays comme le Québec, où il s'est agi, à partir des années 1960, de franciser l'ensemble d'une société dans toutes ses composantes, à une époque où sciences et techniques étaient en pleine évolution. La terminologie est ainsi devenue peu à peu une activité à part entière, issue des sphères de l'industrie et des milieux scientifiques, avec des enjeux de politique nationale et internationale. Cette préoccupation s'étend aujourd'hui à d'autres espaces linguistiques, notamment germanophone, hispanophone et lusophone.

En tout état de cause, ce sont les besoins linguistiques des sciences et techniques qui ont conduit à une approche scientifique de la terminologie. La résistance du matériau linguistique a posé la question du traitement des terminologies existantes et celle de la création de terminologies neuves. Envisagée dans un cadre d'aménagement linguistique, c'est-à-dire dans une visée politique, la terminologie s'en est peu à peu affranchie pour tendre à se constituer comme discipline scientifique à part entière.

Quelques particularités de la terminologie

Identifier, décrire, analyser, classer sont au fondement de toute démarche scientifique ou de construction d'objets. Mais il est très rare que cela n'aboutisse pas à un processus de désignation : il faut désigner les objets et les phénomènes décrits pour structurer le savoir et le communiquer. La terminologie garde encore de son histoire plusieurs particularités : notamment, le fait qu'elle soit essentiellement une pratique d'ingénieurs et de scientifiques, qu'elle soit partie prenante de la traduction spécialisée, et qu'elle soit encore peu intégrée aux sciences humaines, particulièrement la linguistique. À l'évidence pourtant, elle traite bien d'unités linguistiques (noms, verbes, expressions, etc.).

Un corpus en expansion continue

L'une des particularités de la terminologie par rapport au lexique usuel d'une langue est cependant d'avoir à prendre en compte des masses d'unités considérables. Si l'ensemble des unités linguistiques décrites dans un dictionnaire comme Le Nouveau Petit Robert (1993) est de près de 60 000 mots, le volume des unités terminologiques composant une langue comme le français est évaluée aujourd'hui à plusieurs millions ; ainsi, les termes des sciences de la vie (biologie, médecine, etc.) sont de plusieurs centaines de milliers. Cela, indépendamment du nombre des nomenclatures scientifiques (notamment les noms désignant les espèces vivantes), qui sont de plusieurs dizaines de millions. Il existe par exemple 400 000 espèces de coléoptères, dont la plupart ne sont pas encore décrites. Il faut de plus considérer que le volume d'objets à désigner et à répertorier, notamment ceux des collections et des musées, est évalué aujourd'hui à un milliard d'objets (Tillier, Académie des sciences, 2000).

L'unité terminologique

Toujours est-il que la terminologie a à traiter d'unités linguistiques. Il est préférable de parler à ce propos d'unités terminologiques. En effet, « terme » apparaît réducteur au regard de la diversité des phénomènes observables en terminologie. Les unités terminologiques excèdent souvent les limites des unités lexicales entendues au sens usuel, particulièrement par la lexicographie traditionnelle : à savoir des unités considérées généralement et prioritairement du point de vue de leur morphologie. L'unité terminologique peut de fait recouvrir des unités simples : tour ; mais très souvent des unités complexes : tour de forage, tour de refroidissement, tour de refroidissement à écoulement pelliculaire, tour de refroidissement à pluie d'eau, etc. On est obligé de concevoir chacune de ces unités longues comme un tout, à l'instar de tour de contrôle, exemple d'unité relativement limite pour un dictionnaire de langue usuel. Il est admis en terminologie que les éléments contenus dans chacune de ces unités forment bloc par le concept auquel renvoie chaque unité terminologique. À ces phénomènes d'expansion peuvent à l'inverse succéder des phénomènes de réduction : bateau qui marche à la vapeur devient « un » vapeur. Voire de substitution d'éléments : véhicule à roues motrices se précise en véhicule toutes roues motrices ; ou d'intercalation : heure de grande écoute conduit à heure de plus grande écoute. Autant de processus qui contribuent à indiquer que les terminologies se forment en discours et ne sont pas systématiquement créées ex nihilo par simple confrontation avec l'objet à désigner. De plus, parler d'unité terminologique est utile, car terme ne doit pas impliquer forcément nom : il y a en terminologie nombre de verbes ou d'unités verbales : enregistrer, sauvegarder, mettre en mémoire, etc. ; nombre d'adjectifs : un vin peut être ample, opulent, boisé... ; des adverbes : anticonstitutionnellement ; voire des connecteurs : nonobstant, conformément à, attendu que, etc. Toutes sortes d'unités en viennent ainsi à être traitées : des unités alphanumériques (format A4, ERS-1,...), des symboles, etc. La terminologie est également susceptible de prendre en compte, à des fins de rédaction ou de traduction technique, des unités de type : fabriqué en, avec l'aimable autorisation de (courtesy of), etc.

La technicité dans les langues

Outre la segmentation des unités terminologiques, ce qui opère dans la langue pour rendre indispensable la pratique de la terminologie est le phénomène de la technicité. Ainsi, mouvement peut apparaître comme un mot usuel. Mais, dans un domaine particulier, il est amené à recevoir un sens spécialisé : dans le domaine de la culture, mouvement peut désigner le mouvement des œuvres, concept précis qui implique manutention, transport, assurance. L'enjeu qui se dégage ici pour la terminologie est d'une importance majeure, car l'exercice de la terminologie ne consiste pas seulement à analyser le sens exact des unités terminologiques d'une langue. Il est aussi de se situer dans le champ de la traduction : c'est la technicité de l'unité terminologique – son appartenance à un domaine et à un sens spécialisé –, qui commande l'équivalent en langue étrangère : force, au sens de la physique, se rend en anglais par force et en allemand par Kraft (die). La terminologie tend à montrer que technicité, spécialisation et domaine se combinent pour ajouter à la difficulté de la traduction d'une langue à l'autre. C'est certainement cette perspective qui contribue à l'une des originalités de l'approche linguistique qu'offre la terminologie. Mais ces particularités ne s'arrêtent pas là : la terminologie est en effet au cœur de la problématique du concept, de l'objet et de la représentation.

Concept, objet et représentation

Objet s'entend en terminologie pour la détermination de toute unité du réel (produit, constituant, flux de particules, etc.). Le terme objet est de ce fait entendu au sens large et peut désigner une chose, une entité, un phénomène. La définition de l'objet, admise au niveau international pour la terminologie, est la suivante : « Tout ce qui peut être perçu ou conçu » (I.S.O. 1087, 2001).

Concept et percept

« Conçu » renvoie à concevoir, conception, concept. On peut être au stade de la conception sans avoir encore entièrement fixé le concept sur lequel on travaille (par exemple dans la réalisation d'un nouveau produit). « Perçu » renvoie à percevoir, perception, percept. L'articulation du perçu au conçu est importante. Elle permet notamment d'expliquer pourquoi des langues ne nomment pas certains objets du réel, qui sont néanmoins perçus : le percept peut être là, mais non la désignation qui renvoie à l'objet perçu. Par exemple, il n'y a pas de mot usuel en français pour désigner la partie du bras qui succède à l'avant-bras, située entre le coude et l'épaule. Cette approche est utile à l'analyse de la manière dont les langues décrivent le réel. Elle permet aussi de décider du degré d'équivalence des termes d'une langue à l'autre. Elle est aussi riche de perspectives, plusieurs théories (G. Lakoff, A. Wierzbicka, notamment) se développant autour de la perception et de la conceptualisation du réel par les langues, d'un point de vue aussi bien épistémologique qu'anthropologique. Concept et percept vont de pair. C'est une des raisons pour lesquelles le terme notion a été abandonné au profit de concept dans les normes récentes de méthodologie de la terminologie (I.S.O., 2000, 2001). De plus, concept fait le lien avec la tradition de la logique et avec la pratique des scientifiques et techniciens, créateurs et manieurs de concepts.

Décrire l'objet

Le rapport à l'objet est primordial dans la description terminologique. Il est nécessaire de décrire l'objet, que ce soit pour le scientifique qui formule une découverte, pour l'expert qui fait breveter une invention, ou pour le normalisateur qui fixe les spécifications d'un produit ou d'un processus de construction industrielle. Ainsi, l'un des premiers actes de tout discours technique ou scientifique est de décrire, linguistiquement et techniquement, les objets traités – produits, composants, techniques, processus, etc.

Considérée de ce point de vue, la terminologie contribue à poser la question du rapport de la langue au réel. L'une des contraintes, et peut-être l'une des chances du terminologue, est en effet d'avoir la sanction du réel : pour exporter de par le monde des produits, il faut bien être sûr que l'on parle, ici et là, des mêmes objets. Il est certes possible d'user de numéros de code. Mais celui-ci permet le repérage d'un objet, sans expliquer comment s'en servir, le maintenir ou le réparer. À considérer combien les produits sont aujourd'hui accompagnés de leur description documentaire, pour des raisons, particulièrement, d'acculturation aux marchés (anglais localisation), on ne peut que constater que la langue (et dans la traduction, les langues) garde toute son utilité pour comprendre et faire comprendre.

Reste que, pour un concept, même bien circonscrit, le matériau terminologique est souvent proliférant. Ainsi, pour désigner le concept de « logiciel permettant de naviguer sur Internet », il est possible de relever dans différents usages des unités terminologiques comme logiciel de navigation, navigateur, exploreur, explorateur, fureteur, etc., en se posant constamment la question de savoir si ces unités terminologiques désignent bien un seul et même concept. Ce foisonnement synonymique doit s'analyser pour le français, mais aussi au regard d'autres langues, comme l'anglais, qui aligne en regard, browser, explorer, web explorer, navigator, etc.

Description du réel et représentation

Il ne doit donc pas y avoir d'ambiguïté dans la description, ce qui exige une attention particulière au sens des termes et des formulations employées. Les textes de normes de produits, de manuels de maintenance, de notices d'utilisation, etc., doivent également être traduisibles de façon fiable. L'une des idées centrales en rédaction technique étant que, de la première page d'une documentation jusqu'à la dernière, une même unité terminologique désigne systématiquement un même objet, sauf indication contraire. Cela entraîne aussi que, chaque fois qu'un processus technique évolue et qu'une partie de la documentation s'y rapportant s'en trouve modifiée, on s'assure qu'une même unité terminologique continue de désigner le même objet. Pareil souci de cohérence engage la maîtrise et la gestion des unités terminologiques sur des dizaines, voire des centaines de milliers de pages. Il faut pour cela une véritable ingénierie documentaire capable de maîtriser ces données, dont beaucoup sont des unités terminologiques.

La molécule d'eau

D'autant qu'il existe un décalage entre le réel, la langue et la représentation que peut donner de ce réel le scientifique. À l'évidence, le mode de description du scientifique dépasse la portée de la langue. Ainsi de la molécule d'eau : il est par exemple possible de calculer les angles de liaison des atomes qui la composent (104,450 entre les deux atomes d'hydrogène) et la distance entre chacun d'eux (0,095 8 nanomètres entre l'atome d'oxygène et les atomes d'hydrogène). Il en est de même des déformations entre les liaisons composant la molécule d'eau. Certaines parties du réel sont donc descriptibles de façon extrêmement détaillée. C'est ce genre de représentation qui contribue à former, pour un chimiste, le concept. Concept entendu comme représentation d'un certain nombre de propriétés d'un objet. Si l'on admet que l'on pense le réel sous la forme de concepts, ces propriétés d'objet sont conceptualisées sous la forme de caractères. Ainsi entrent dans la constitution du concept de molécule d'eau les caractères atome, oxygène, hydrogène, pluralité d'atomes (deux hydrogènes), configuration (arrangement des atomes dans la molécule), distance d'un atome à un autre, angle de liaison, etc. Il est remarquable que ces caractères sont eux-mêmes des concepts et qu'ils peuvent se combiner entre eux.

La représentation dans les langues

Des savoirs, des pratiques, des sociétés émergent de cette façon des représentations individuelles ou collectives. Les langues à la fois structurent ces représentations et sont structurées par elles. Ainsi, le réel se présente à nous comme un ensemble d'objets plus ou moins manipulables. On peut manier un manche de couteau, une poignée de porte, un bras de brouette, une queue de poêle, etc. Ce que l'anglais homonymise à chaque fois sous le terme handle : à savoir, littéralement, comme une action effectuée par la main. D'autres langues, comme le français, ne suivent pas ce schéma de pensée. Est perceptible ici la non-coïncidence du sens et la différence de catégorisation d'une langue à l'autre. Il est également possible d'analyser, par comparaison, la part de ce qui, du monde, est véritablement distingué, conceptualisé et désigné. Au-delà, on observera bien d'autres phénomènes, tels les passages entre langue commune et langue spécialisée, les imaginaires induits, les effets de représentation, etc. Toutes dimensions que le terminologue doit appréhender pour ajuster rigoureusement les unités terminologiques d'une langue à l'autre.

La terminologie dans la société de l'information

Même si la terminologie entre de plus en plus dans le champ d'une réflexion théorique, elle apparaît d'abord comme une discipline d'application dans les entreprises, les laboratoires de recherche, les instituts de normalisation. Elle est primordiale pour la traduction spécialisée, la rédaction technique et la documentation. Mais sa pratique évolue rapidement en raison du développement de la société de l'information. La terminologie se trouve ainsi placée au carrefour de plusieurs disciplines, notamment les technologies de l'information (documentation, indexation, analyse de textes, etc.), les industries de la connaissance (intelligence artificielle, systèmes experts, banques de connaissance, etc.) et le traitement automatique des langues (traduction automatique, génération de textes, reconnaissance de la parole, etc.).

Structurer l'information

La terminologie, en effet, donne forme à l'information en la structurant par le biais d'unités linguistiques précisément définies. Ces unités donnent de plus accès au concept, difficilement manipulable autrement. La question des ontologies par exemple – objets que manipule toute entreprise (composants, produits, unités de mesure, etc.) – débouche nécessairement sur la manière de les désigner. La terminologie offre de ce fait une clé d'accès quasi obligée à l'information, dans la mesure où la recherche d'informations en langue naturelle est en pleine expansion. En ce sens, l'unité terminologique forme un élément essentiel des techniques documentaires. Elle structure l'information contenue dans un texte ; elle la restitue sous la forme de mots clés (termes apparaissant explicitement dans un document) ; ou elle l'englobe sous la forme de descripteurs (termes synthétisant les thèmes abordés dans un document) : un texte traitant de la biodiversité peut ainsi ne faire à aucun moment état du terme espèce ou environnement, auxquels il sera pourtant utile de l'associer dans une indexation. La terminologie permet donc aussi bien de cerner des contenus d'information que de relier ceux-ci grâce à une approche à la fois linguistique et conceptuelle. Elle homogénéise faits ou pratiques particulières en les rassemblant sous des concepts (en rassemblant par exemple sous un même descripteur des actes médicaux effectués par des organismes et praticiens différents).

Une terminologie offre de plus la possibilité, lorsqu'elle est structurée, de s'organiser en arborescences relativement cohérentes. L'utilisation d'arborescences terminologiques commence à être exploitée sur des réseaux comme Internet, offrant déjà de nombreuses possibilités en raison de leur articulation aisée en hypertexte. Nombre de répertoires et catalogues sont composés sur ce modèle. Il est aussi possible, en parcourant des arborescences, de rechercher un terme dont on ne connaît pas le signifiant. Ou d'affiner une demande à partir de ces arborescences, le système proposant par exemple un ensemble de domaines et sous-domaines susceptibles de mieux situer la question posée. La modélisation des connaissances à partir de terminologies est également en plein essor.

Une diversification des domaines d'application

Ainsi, autant la terminologie apporte à d'autres disciplines, autant ces disciplines ont amené la terminologie à évoluer. La masse de documents émis, la numérisation et le traitement de ces documents, la rapidité des transmissions forment des systèmes de plus en plus complexes. Dans ce contexte, la terminologie a diversifié et spécialisé ses domaines d'application : si la fonction de terminologue en tant que spécialiste des terminologies monolingues et multilingues demeure, ses champs de spécialisation ont évolué. En premier lieu, au sein de la terminologie : l'application de l'informatique à la terminologie a donné naissance à une discipline spécifique, la terminotique (formé à partir de terminologie et d'informatique). Il s'agit notamment de maîtriser et de gérer informatiquement des terminologies de langues très différentes, de faciliter l'échange de données terminologiques, et d'en permettre l'accessibilité. Les enjeux économiques sont considérables, car la maîtrise de données terminologiques augmente la rapidité et la fiabilité des traductions, ce qui représente un atout majeur dans un contexte de veille technologique et concurrentielle. La terminographie – analyse, traitement et gestion des unités terminologiques, en vue notamment de leur intégration à des systèmes – est également devenue une pratique à part entière. Il n'est pas jusqu'aux implications sociales de ces bouleversements qui ne soient prises en considération. La socioterminologie s'est ainsi établie comme la discipline qui traite de l'analyse des phénomènes terminologiques au sein des sociétés (rédaction de messages à l'adresse du public, analyse de leur réception par les usagers, etc.).

Une multiplication des ressources documentaires

Si la pratique de la terminologie a évolué en si peu de temps, c'est que la puissance des outils s'est considérablement accrue. Des réseaux de type Internet ont provoqué des bouleversements, en rendant facilement accessibles des ensembles d'informations d'une richesse sans précédent. Cette consultation massive de documents diversifiés s'accompagne d'un maniement plus facile des données : sous langage XML, les données ne requièrent plus de traitement particulier et sont immédiatement exploitables et réexportables. Le paysage des banques de terminologie s'est rapidement modifié. De monolithiques qu'elles pouvaient être, les banques de terminologie se sont diversifiées et commencent à proposer de nombreux produits linguistiques (dictionnaires, guides rédactionnels, répertoires de phraséologismes, etc.). Par ailleurs, elles sont désormais reliées en réseaux à d'autres sources de données terminologiques – minibanques, dictionnaires spécialisés, etc. – susceptibles de graviter efficacement autour d'elles en complétant leur offre de services. Ces banques deviennent aussi multiusages : commence à s'estomper la distinction entre banques de données terminologiques à vocation traductive (dans lesquelles les données linguistiques prédominent) et banques de données terminologiques à vocation cognitive (dans lesquelles sont privilégiées les données sur les concepts). La réelle interactivité, permise par les outils, et les possibilités d'accès à distance font qu'il n'y a plus, dans un projet terminologique, « le » terminologue, mais des équipes pluridisciplinaires qui s'ouvrent à l'intervention de plusieurs acteurs, particulièrement les usagers et futurs utilisateurs. L'automatisation de la chaîne de production terminologique et l'intégration des fonctions touchent toutes les phases d'élaboration, de la recherche et l'exploitation des sources documentaires à la livraison de produits terminologiques diversifiés et ciblés. Les systèmes à mémoire de traduction proposent désormais sur un même écran des textes alignés dont de nombreux éléments – segments de textes, unités terminologiques, etc. – sont déjà prétraduits de façon automatique.

Terminologie et information

Même si la terminologie garde dans sa pratique ses points d'application traditionnels – traduction, rédaction et normalisation –, elle élargit considérablement son champ d'action aux sciences de la connaissance, notamment la maîtrise de l'information et la veille stratégique. Ces informations sont primordiales pour identifier acteurs, clients et partenaires, avoir accès aux recherches en cours, être informé de l'émergence de produits nouveaux, ou pénétrer de nouveaux marchés.

La terminologie garde de son histoire les grandes caractéristiques qui restent les siennes aujourd'hui. Issue du travail de nomenclature scientifique en pleine expansion en Occident depuis le xviiie siècle, elle s'est développée avec les différentes révolutions industrielles. Terminologie normalisante au moment de la création des grands instituts de normalisation technique, elle a évolué tout au long du xxe siècle vers une terminologie traductive, en auxiliaire indispensable de la traduction spécialisée. S'y ajoute aujourd'hui au moins un autre aspect : avec l'économie mondialisée et la société de l'information, elle est devenue terminologie informationnelle, qui s'applique et donne accès à l'information.

Théories de la terminologie

Symptôme de cette évolution, la terminologie progresse également dans sa théorie. Le travail terminologique s'est en effet situé dans le passé dans une configuration qui tend à ajuster l'objet à décrire, le concept qui lui correspond, et le signe linguistique. C'est l'élaboration d'une description précise du concept, particulièrement à travers la définition, qui permet d'établir de manière fiable que l'unité terminologique traitée désigne bien l'objet analysé. Ce schéma, qu'on pourrait appeler « terminologie du concept », s'est édifié à partir de la tradition occidentale de la philosophique du langage.

Une autre conception, qu'on pourrait appeler « terminologie du texte », est apparue récemment (voir D. Bourigaut et M. Slodzian). Elle pose que le travail terminologique consiste à dégager des textes le sens des unités terminologiques. Elle est principalement issue de la linguistique de corpus, qui analyse automatiquement des ensembles de textes de grande ampleur. Cette conception est d'inspiration beaucoup plus directement saussurienne, dans la mesure où elle postule que chaque texte a son sens propre, même dans les domaines techniques ou scientifiques. De ce fait, toute unité n'a de sens qu'en contexte, comme le souligne François Rastier. La difficulté restant cependant de pouvoir restituer entre langues des sens rigoureux et fiables qui assurent sur une large échelle la fiabilité des traductions. Sans doute, ces deux conceptions seront-elles amenées à se rejoindre.

La terminologie traverse ainsi une période de bouleversements. Elle a, d'une part, à se définir de plus en plus en relation avec d'autres disciplines, particulièrement technologies de l'information et sciences de la connaissance ; d'autre part, elle doit affermir ses principes théoriques. Utilisée dans les sciences et techniques, elle est à l'évidence une discipline de scientifiques. Elle se doit, toute science humaine qu'elle reste, de reposer sur des fondements solidement établis.

— Loïc DEPECKER

Bibliographie

Aristote, Organon II, De l'interprétation, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, Vrin, Paris, 1997

Association française de linguistique appliquée, Revue française de linguistique appliquée. Corpus de leur constitution à leur exploitation, vol. I-II, Paris, déc. 1996

G. Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Librairie philosophique Vrin, 1972

D. Bourigaut & M. Slodzian, « Pour une terminologie textuelle », in Terminologies nouvelles, no 19, Réseau international de néologie et de terminologie, Bruxelles, déc. 1998-juin 1999

L. Depecker, Dictionnaire du français des métiers. Adorables jargons, Paris, 1995 ; L'Invention de la langue : le choix des mots nouveaux, Larousse-Armand Colin, Paris, 2001 ; Entre signe et concept : éléments de terminologie générale, Presses de la Sorbonne nouvelle, Paris, 2002

H. Felber, Manuel de terminologie, U.N.E.S.C.O., Centre international d'information pour la terminologie (Infoterm), Paris, 1987

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